~ Interview de Sophie Mazon ~




- Qui êtes vous?

Je m’appelle Sophie Mazon, je suis agricultrice et originaire de Montaren saint Médiers. J’ai fait des études de biologie et d’ingénieure agronome à Nancy. Grâce à mes études, j’ai pas mal voyagé avant de revenir chez moi pour m’investir sur ce territoire.


- Quel est votre rôle dans le projet que vous portez?

Je suis engagée dans une association de défense des terres agricoles sur le territoire, et plus globalement j’ai différents engagements dans des associations locales.
Le rôle que je me suis donné est d’essayer de redonner une place à une agriculture biologique et aux terres agricoles sur le territoire. C’est pour cela que je suis présidente du Collectif Sauvegarde de l’Uzège. Je participe également en tant qu’adhérente dans différentes associations : CITRE (Citoyens pour la Transition et la Reconversion Énergétique), La Recyclerie, Terre de liens, etc.
Pendant les deux années où j’ai été au chômage, j’ai eu la chance de pouvoir consacrer plus de temps pour m’engager. Cela m’a permis d’en apprendre beaucoup sur le contexte local, la façon dont s’organise le territoire, la restauration collective, etc. Mais depuis que j’ai créé mon exploitation agricole j’ai moins de temps pour m’y consacrer.


- Présenter votre projet ...

J’aimerais travailler à recréer du lien sur le territoire via l’agriculture, l’environnement et l’alimentation. Ce sont trois éléments indispensable à notre vie, et je trouve que nous n’en prenons pas assez soin. C’est important pour le bien-être de tous.
J’ai commencé mon engagement associatif en étant en lutte car je me suis opposée à un projet de la communauté de communes. On me voit comme quelqu’un de négatif or mon souhait c’est de proposer autre chose, montrer qu’il est possible de développer le territoire autrement que par des zones d’activités commerciales. Il est difficile de travailler avec les élus quand on n’arrive pas à établir des contacts, mon objectif est de créer du lien avec les élus.


- Quelle est l'actualité du projet ?

Nous sommes engagés pour demander la révision du projet actuel de création d’une zone d’activité sur des terres agricoles de notre territoire depuis 6 ans. Ce projet n’est pas en adéquation avec les enjeux d’aujourd’hui, nous voulons proposer une alternative. La zone d’activité commerciale s’établirait sur un terrain agricole qui fait 11 hectares. Nous avons réalisé des analyses de sol qui montrent que ce sont de très bonnes terres agricoles, c’est pourquoi nous voulons les préserver. Mais nous ne sommes pas assez écouté et entendu.
Le problème est que la communauté de communes qui porte le projet a décidé de ne pas écouter nos revendications et propositions alternatives, elle reste sur sa première idée de développer une zone d’activité commerciale.
Nous avons lancé une procédure au tribunal pour essayer d’annuler le projet, mais c’est long et coûteux, et surtout fatiguant car ce n’est pas constructif. Ce que nous voulions c’était établir un dialogue avec la communauté de commune, qu’il y ait des concertations mais cela n’a pas été fait.
Les recours au tribunal sont en cours mais la CCPU a quand même décidé de commencer les travaux. Ce sont pour l’instant seulement les voiries qui sont en construction donc c’est toujours réversible, il y a un espoir, le choix d’une alternative est encore possible.
Nous comptons sur notre recours au tribunal pour bloquer le projet de la CCPU, tout en continuant à demander aux élus de travailler sur un autre type de projet plus durable et respectueux de nos espaces.


- De quoi a besoin votre projet actuellement pour aller plus loin? La prochaine étape à franchir?

Nous avons besoin d’échanges, de discussions et d’ouverture d’esprit. Cela se met déjà en place avec certains élus, ils entendent nos arguments, ils sont à l’écoute, c’est agréable d’échanger avec eux, mais ils restent trop peu nombreux. L’objectif c’est que toutes les personnes concernés échangent, que nous organisions une rencontre afin que nous puissions exposer nos arguments. Depuis 6 ans nous n’avons jamais eu l’occasion de faire cela. C’est dommage ça nous aurait permis de mieux nous comprendre et de trouver des solutions, de faire des concessions.


- Quel est le sens que vous trouvez à votre projet ?

Quand on s’est lancé dans ce projet, je discutais avec un ami paysan, je n’étais pas encore agricultrice mais déjà bien investie au niveau agricole sur le département. On s’est dit, si on essai pas de sauver ces hectares de terre agricole on s’en voudra. On fait ça pour les générations futurs car cela nous semble logique. Je pense qu’on a une vision sur le long terme de l’influence des actions de l’homme sur la terre en général. Nous avons tous quelque chose à faire pour que les choses changent.


- En quoi il peut être source d'inspiration pour d'autres ?

En France, il y a beaucoup de projets de préservation de sols agricoles comme le nôtre. Des zones d’activités en périphérie de ville qui sont des aberrations. J’essaie, dès que je suis en contact avec des personnes qui veulent se mobiliser pour défendre des terres agricoles, de leur faire part de notre expérience. Quand on a commencé, on avait aucune expérience et on a tout appris sur le tas. Il y a pleins de choses que j’aurais fait différemment si j’avais su tout ce que je sais aujourd’hui. Je cherche à transmettre ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné pour nous, aux autres qui souhaitent se mobiliser.
C’est un projet alternatif que l’on propose sur les terres de la ZAC, c’est un projet qui permettrait d’installer des agriculteurs, permettre de produire la nourriture nécessaire pour les cantines scolaires, faire de la pédagogie, transmettre des informations, nous pourrions diffuser cela sur le territoire et créer pleins de nouveaux acteurs. Ce genre de projet alternatif existe ailleurs, nous pourrions le mettre en place ici, en Uzège.


- Comment vous présenteriez votre territoire?

Mon territoire je l’appelle l’Uzège, en tant que paysanne, maraîchère et apicultrice, je me déplace beaucoup dans ce grand territoire qui est majoritairement rural et naturel. Il est préservé même si les parcs photovoltaïques commencent à être nombreux, tout comme les extensions urbaines qui dénaturent nos paysages.
J’ai 36 ans, j’ai fait toute ma scolarité ici jusqu’au lycée. Rien qu’à l’échelle de ma vie je vois déjà comment les bâtiments poussent sans cohérence, la population diminue, pourtant de nouveaux lotissements continuent à être construits. Notre territoire est au milieu de trois grandes villes et nous pourrions mieux le valoriser par ses atouts naturels et agricoles.


- Qu'est ce qui selon vous manque pour enclencher une réelle transition écologique, démocratique et solidaire sur votre territoire ?

Pour moi, ce qui manque c’est la volonté politique, une réelle prise de conscience des élus. J’ai eu cette discussion comme quoi on a tendance à critiquer les élus alors que ce sont nous les citoyens qui les avons élus et puis qu’ils font ce qu’ils peuvent. Or, je suis convaincue que les élus ont ce devoir de prendre conscience des enjeux de notre époque, des besoins de notre territoire, et ceux de la population. Au sein de la population de l’Uzège, beaucoup de personnes ne sont pas très sensibles aux enjeux de la transition. Les élus peuvent guider la population car ils sont écoutés. Sur l’ensemble de nos projets, nous voulons toucher plus de monde, les amener à prendre connaissance de l’existence d’alternatives respectueuses de notre environnement, mais nous avons encore du mal à y parvenir au niveau associatif.


- Avez-vous des attentes précises par rapport au projet TE?

Je n’ai pas vraiment d’attentes précises, je suis contente que ce projet existe. Toutes les initiatives qui peuvent permettre de créer du lien sur notre territoire entre les différents acteurs, on en a terriblement besoin. Je souhaite que cela permette d’apaiser les tensions qu’il y a entre certains engagés associatifs et certains élus. Que les acteurs de notre territoire s’écoutent et arrivent à se comprendre, on peut ne pas être d’accord mais c’est essentiel de mettre en place des temps de discussions, de débats et de faire des concessions.

- Souhaitez-vous rajouter quelque chose à notre échange ?

Je suis paysanne et sur mon exploitation nous faisons beaucoup d’accueils de stagiaires, des visites de la ferme, des événements comme Avril en balade en lien avec l’office de tourisme. Nous sommes ouverts pour l’échange, le partage, montrer ce qu’est notre travail et les valeurs que nous défendons. C’est en se rapprochant d’acteurs impliqués comme nous, en allant voir par vous même ce qui se fait autour de vous que cela pourra ouvrir de nouvelles possibilités pour le territoire.


Propos recueillis par Cécile Gauthier en service civique au sein du Mouvement Colibris

Publié le 23/02/2023