~ Interview François Bovet ~




- Qui êtes vous? Présentez-vous

J’ai 78 ans, et je suis militant de l’éducation populaire. Ayant grandi avec un père et un grand-père investis dans l’écoute des autres et dans des formes de pédagogies alternatives telle que la pédagogie Freinet, j’ai eu dès le plus jeune âge un intérêt pour ces questions en étant louveteau puis éclaireur. J’ai fait des études de lettres classiques et milité en 68. C’est dans ces mouvements de contestation de la société que j’ai poursuivi mes engagements.
A 30 ans je me suis ainsi installé en agriculture maraîchère à Uzès avec mon épouse. Quand mes 3 enfants ont grandi nous avons décidé, pour augmenter nos revenus, que je devienne enseignant  en utilisant  ma maîtrise des lettres classiques. J’ai enseigné à Bagnols-sur-Cèze, tout en gardant des engagements dans l’éducation populaire au niveau local, régional ou national au sein de plusieurs associations (MJC, ATP, ATTAC, …) avec toujours cette volonté de changer la société.

- Quel est votre rôle dans le projet que vous portez?

Dans tous mes combats j’insiste pour que les décisions soient prises après débat entre les adhérents.
Un  problème important que rencontrent les associations aujourd’hui est celui du rapport entre les bénévoles et les professionnel·les salarié·es. En effet, la complexité des tâches à remplir, le rôle d’employeur·yeuse, les responsabilités font que dans  trop d’associations le pouvoir se trouve entre les mains des professionnel·les alors que les associations d’éducation populaire ont été crées par des bénévoles, que le pouvoir de décision appartient à l’Assemblée Général et que le rôle du Conseil d’Administration et du Bureau est de les mettre en œuvre.
Nous, bénévoles, avons trop tendance à déléguer notre pouvoir aux professionnels  pour des raisons d’efficacité. Et ce alors que le but des associations d’éducation populaire est d’aider les adhérents à comprendre la société dans laquelle ils vivent et de la transformer.  
Par ailleurs, je suis aussi impliqué dans l’association « Les Jardins partagés d’Uzès ». Un premier projet, lancé par un viticulteur de l’Uzège, n’avait pas abouti faute d’avoir réussi à trouver un terrain.
Quatre ans plus tard, en 2013, le directeur de l’hôpital psychiatrique d’Uzès a proposé à l’association des terrains à l’intérieur de l’enceinte de l’Hôpital ; il souhaitait que les habitants de l’Uzège modifient leur regard sur l’hôpital psychiatrique et ses patients et pensait, à juste titre, que la création de jardins partagés le permettrait. Nous avons rédigé ensemble la convention qui lie l’hôpital et notre association.

- Quelle est l'actualité du projet (ce qui a été fait jusqu'à aujourd'hui, dans les grandes lignes)?

Les premiers statuts de notre association étaient « traditionnels » : Assemblée Générale annuelle, élection d’un Conseil d’Administration renouvelable par tiers, un bureau comprenant un·e président·e, un·e trésorier·ère, un·e secrétaire et des membres…

Il y a 2 ans nous avons, après en avoir longuement débattu, modifié ces statuts lors d’une Assemblée Générale extraordinaire. Désormais notre association est dirigée par une direction collégiale à laquelle participent tous les adhérents et adhérentes. C’est elle qui répartit les tâches entres celles et ceux qui veulent s’investir pour un temps donné sur une fonction : finances,  communication, etc…

De quoi à besoin votre projet actuellement pour aller plus loin? La prochaine étape à franchir?

Je suis plutôt satisfait du fonctionnement de cette association. Puisque nous ne disposons pas de financements suffisants nous n’avons pas de salarié·es, nous sommes tous bénévoles. Notre objectif principal est de faire du lien entre les personnes, de relancer les jardinier·ères qui ne participent pas à la direction collégiale pour qu’ils/elles s’investissent dans le fonctionnement de l’association. Ce n’est pas encore gagné, mais cela reste un de nos objectifs.
Nos adhérents et adhérentes ont comme point commun le désir de jardiner, mais ils/elles ont des opinions qui diffèrent sur d’autres sujets et il est important d’accepter d’écouter l’autre et de débattre sans tenter d’imposer notre point de vue. C’est cela qui fait la richesse d'une association même si ce n’est pas toujours facile à vivre.

- Comment vous présenteriez votre territoire?

Il y a une vingtaine d’années un travail très intéressant a été réalisé : un Schéma de cohérence territorial (SCOT) concernant 2 communautés de communes (celle de l’Uzège et celle du Pont du Gard). Ce SCOT a déterminé, après des études auxquelles les associations et les habitant·es avaient été invités à participer, des objectifs de développement respectant les caractéristiques du territoire.
Depuis, la CCPU et la CCPG ont renoncé à travailler ensemble et ce document n’est plus que trop rarement évoqué, ce que je regrette vivement.
 
Il y a deux ans a été lancé un PPTE (Plan Paysage Transition Énergétique) concernant le Grand Site de France du Pont du Gard et le syndicat mixte des Gorges du Gardon (grand site en projet). J’y ai participé tout en regrettant que cette étude concerne un territoire bien trop restreint et sans cohérence pour être significatif. Les dépenses relativement importantes qu’il a occasionnées, non seulement n’ont pas servi à grand-chose mais ont occulté la nécessité de lancer un PPTE sur l'ensemble du territoire de l'Uzège.

Par ailleurs, depuis plusieurs années le projet d’un Parc Naturel des Garrigues (PNR) a été lancé. Son périmètre recouvre le territoire de la CCPU  et celui des communes limitrophes dépendant d’autres collectivités territoriales, ce qui complique un peu sa mise en oeuvre. Plusieurs associations de défense de l’environnement militent pour sa création. 

En parallèle, la CCPU continue à monter en puissance, à structurer son territoire et ses attributions augmentent notamment au niveau du réseau des médiathèques, du secteur de l’enfance, de l’économie, du PAT, etc.
En septembre dernier, un nouveau « partenaire » sur le territoire  est apparu : « Le Parlement des liens ». Il a commencé par organiser une grande manifestation sur trois jours à l’Ombrière en octobre, soutenu par la Région Occitanie, la CCPU et le journal « Libération ».
Il a lancé plusieurs projets concernant l’Uzège suivant cinq axes majeurs : (1) Territoire pleine santé, (2) Agriculture à 10 ans, (3) Trajectoire perma-économique, (4) Le bassin versant, (5) Bande son du territoire.
Il invite les Uzétiens et Uzétiennes à s’inscrire dans chacuns de ces dispositifs. J’ai participé à la première réunion organisée par le collectif « Hydromondes» qui s’est engagé à travailler avec les acteur·ices au niveau local. Soyons optimistes car je ne suis pas le seul à m'être investi dans ces projets.

Comme vous pouvez le constater, il existe différentes délimitations dans les projets d’hier et d’aujourd’hui. Les avis sont partagés quand il s’agit de délimiter le territoire sur lequel nous souhaitons travailler. Il est urgent que nous nous mettions d'accord sur quel territoire mener l'expérimentation, soit celui de la CCPU, ou bien celui du PNR (mais son périmètre est encore en discussion).

- Qu'est ce qui selon vous manque pour enclencher une réelle transition écologique, démocratique et solidaire sur votre territoire ?

Ce qui manque c’est le dialogue entre les différentes parties prenantes sur notre territoire, une envie de travailler avec tout le monde,  d’accepter des échanges contradictoires, de reconnaître les limites, bref de construire ensemble.  
L’histoire récente en donne un exemple criant. La CCPU a lancé un PAT (Projet Alimentaire Territorial) qui vise à préserver des terres agricoles pour mettre en place des cantines bio au sein des maisons de retraite, travailler à la création d’une légumerie pour la conservation pendant l’hiver, etc.
Mais en même temps la CCPU décide de bétonner des terres agricoles pour agrandir la zone commerciale et artisanale de Montaren à l’ouest d’Uzès. Or, ce sont de très bonnes terres agricoles. Beaucoup de personnes soutenant le projet Territoires d’Expérimentations sont en première ligne pour la défense de ces terres afin qu’elles restent agricoles.
C'est pourquoi, pour beaucoup d’entre nous, cela a entraîné une grande défiance sur les objectifs du PAT affirmés par la CCPU.


- Avez-vous des attentes précises par rapport au projet TE?

La question c’est comment le projet Territoires d’Expérimentations peut-il parvenir à bâtir un collectif ?
Il faut qu’on parvienne à travailler tous ensemble. Nous avons la chance d’avoir un territoire qui a une unité, des associations, des acteur·ices engagé·es, tout comme des études multiples réalisées ces 20 dernières années. Il n’est pas toujours facile de collaborer entre acteur·ices avec des intérêts parfois différents mais il est nécessaire que nous agissions car notre planète nous laisse peu de temps pour construire ensemble l’Uzège de demain.


Propos recueillis par Cécile Gauthier en service civique au sein du Mouvement Colibris

Publié le 23/02/2023